Crépuscule de Philippe Claudel chez Stock

 


Résumé de l'éditeur

Aux marches de l’Empire « à cent têtes et cent corps », sommeille une province minérale et nue où le froid, le givre, les bourrasques semblent ankyloser les habitants d’une bourgade qui ne signalait jusque-là ni notoriété historique, ni intérêt géographique, si ce n’est d’être placée à la frontière « d’un pays dont la bannière se frappait d’un croissant d’or », et dont la vitalité contraste avec l’épuisement ranci du village aux passions tristes.
Un jour, le curé est découvert mort. La tête fracassée par une pierre. De quelle nature est le crime ? Qui pouvait en vouloir à ce curé d’une terre où les chrétiens et les musulmans vivaient depuis toujours en bonne entente ? Que faire, qui accuser, et qui entraver dans son action si, à partir de ce meurtre, s’ordonne toute une géométrie implacable d’actes criminels et de cruautés entre voisins ? Il y a un heureux : le Policier, Nourio, car « c’était fabuleux pour lui d’avoir une pareille affaire, dans ce lieu abandonné de toute fantaisie, de tout grain de sable, roulé dans l’ordinaire des jours ». Le voilà lancé dans d’inutiles recherches. À quoi sert de s’opposer au cours impétueux des choses ?
Dans ce vieux monde de l’Empire qui s’affaisse, « dans un sommeil épais, s’enroulait dans sa léthargie comme un escargot fainéant bâille dans sa coquille », il y a tous les personnages, en chairs et en vices, qui conviennent au déroulement de la tragédie : chacun joue à merveille sa partition. Nourio, le Policier au teint olivâtre et aux pulsions incontrôlables. Baraj, l’Adjoint dont l’apparence de bête placide et musculeuse dissimule l’âme d’un enfant poète. Lémia, la fillette aux formes adolescentes dont les ombres et les pleins agacent les nerfs du Policier. Tant d’autres, et même les fantômes des temps passés, qui n’ont en commun, dans leur médiocrité âpre et satisfaite, dans le secret de leurs âmes, que d’agir en comparses du grand Effondrement de l’Empire. De suspens en rebondissements, l’intrigue haletante se double d’une grande réflexion sur nos errements contemporains, la volonté de quelques-uns de réécrire l’Histoire, la négation de certains crimes de masse et autres arrangements avec la réalité.


Ce que j'en pense...

Une fable cruelle qui se déroule dans un pays  aux confins d’un « Empire » sans nom, au début du XXe siècle, dans un pays au climat rude, de froid et de brouillard. Philippe Claudel situe son histoire dans une petite ville enneigée où Chrétiens et Musulmans se côtoient, s’acceptent  sans vraiment s’apprécier, le tout dans une atmosphère glauque et glaciale, un monde où la corruption et l’intolérance sont de mise.
 Tout débute par l’assassinat d’un prêtre, un fait d’une extrême gravité car vécu comme une soupape de sécurité qui saute dans cette petite communauté où chrétiens et musulmans se côtoient déjà avec méfiance. Ce crime va être à l’origine de l’émergence du conflit qui couvait déjà depuis bien longtemps. Était- ce le but ? Comment ne pas imaginer qu’une sombre manipulation n’ait pas été exercée sur cette population placée sous le joug d’une autorité intolérante et impitoyable.
Philippe Claudel nous trace à gros trait un monde où personne n’est parfait, ni blanc ni noir, juste gris comme leurs âmes…! “Une fable métaphorique sur les turpitudes de la nature humaine“.  Tous les personnages sont énigmatiques, empesés par leurs secrets, toujours sur la défensive. La paix n’est qu’apparente et illusoire. Trois personnages émergent du récit et apportent du relief à une narration parfois un peu lente et rébarbative. Il y a ce représentant de la police qui a à cœur de résoudre cette enquête et devient peu à peu obsessionnel dans sa recherche de  la Vérité. Certes il  représente l’autorité, certes il est fier de sa fonction, mais qui est-il vraiment, est-il l’homme aussi respectable qu’il veut bien le montrer ? Son opportunisme le poussera à sa perte.
Et puis, il y a son adjoint, un homme étrange et énigmatique qui tranche avec le reste des personnages. Il est moins bête qu’il ne le laisse paraître, Il vit à l’ombre de son supérieur hiérarchique, c'est l’homme des basses besognes que personne ne regarde ni ne respecte. Qui aurait pu croire que cet homme de l’ombre pourrait illuminer le récit ?  
Philippe Claudel fouille et ne ménage aucune âme humaine. Comme à son habitude, il aborde des thèmes tels que communautarisme, harcèlement, délation, despotisme, fanatisme et traite de l’humanité et de la dérive dans laquelle nous sommes. 
C’est un coup de cœur comme l’avait été  pour moi “Les âmes grises”. Philippe Claudel est un poète qui sait mêler poésie et hyperréalisme, tel un Rabelais des temps modernes. Comme un crépuscule, ce roman est  aussi sombre que captivant. Dantesque !

“ Je pense qu’il n’y a pas d’humanité sans l’autre. Nous sommes humains parce que nous sommes les mêmes. Nous sommes entourés de nos semblables et nous sommes devenus inhumains parce que nous avons oublié l’autre. Le monde moderne n’a cessé de cultiver notre égoïsme et de nous faire croire à tort que le bonheur pouvait être une aventure individuelle. Il n’y a pas de bonheur solitaire. Ce n’est pas possible. On peut être malheureux seul. On ne peut être heureux qu’à plusieurs. Cette idée de belle construction collective du bonheur, d’un rêve de société bienfaisante, d’une communauté, on l’a peu à peu abandonné au profit d’une sorte de fantasme, celui d’une réalisation de soi seul..." Philippe Claudel


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