Mémoire de fille de Annie Ernaux, Collection Blanche, Gallimard
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«J’ai voulu l’oublier cette fille. L’oublier vraiment, c’est-à-dire ne plus avoir envie d’écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n’y suis jamais parvenue.»
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. Nuit dont l'onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S’appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd’hui.
Mon avis :
Depuis la parution de son premier livre, Les Armoires vides, en 1974, où Annie Ernaux explorait son passé et retraçait via l’écriture de son expérience, ses relations interpersonnelles qu'elles soient familiales ou amoureuses, elle aborde dans ce roman, sa génération, les femmes et leur combat, la société et ses écueils.
Son écriture franche, directe et sans détours nous livre un constat objectif d'une époque via une ou plusieurs expériences personnelles. Elle revient au temps où, monitrice de colonie de vacances, elle se retrouve en total décalage avec ces jeunes délurés qui ne pensent qu'à faire la fête, boire et s'amuser. Elle qui n'a connu que des établissements privés, une éducation qui lui permettrait de s'élever de son milieu, qui ne voit la vie qu'à travers le prisme de ses lectures, ne se reconnaît pas parmi eux, comme si elle n'appartenait pas à cette génération. Elle qui rêve d'une première histoire d'amour, elle ne connaîtra cet été qu'une "expérience" avec un garçon bête et vulgaire qui semble uniquement préoccupé par ses pulsions sexuelles.
Elle se focalise sur la jeune fille qu'elle était en 1958 et, pour qui porte encore un intérêt sociologique pour cette période qui se révélera l'amorce de la révolution sexuelle, de l'émancipation de la femme, son roman que l'on peut qualifier cependant d'autobiographique est une mine de renseignements sur la vie et les coutumes de cette époque.
Pour cette auteure toujours encline à se raconter depuis ses premiers romans, "Mémoire de fille" est à mon humble avis, son roman/essai le plus abouti. Elle dépasse son style introspectif (sa marque de "fabrique") et dissémine au gré de sa narration le récit sans fioriture d'événements marquants d'une société étriquée et trop souvent empreinte de machisme ne donnant qu'une place mineure aux femmes.
Elle réussit au travers d'un récit autobiographique à donner une analyse claire de la place de la femme dans la société, qu'elle soit contemporaine ou pas. C'est l'histoire de toutes les femmes, l'histoire de toutes celles qui ont souffert en silence du pouvoir des hommes qui en toute impunité, pouvaient se jouer des femmes. Tout évolue, mais tout est toujours à faire et à refaire !
Citations :
- J'ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu'un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour.
- Ce récit serait donc celui d’une traversée périlleuse, jusqu’au port de l’écriture. Et, en définitive, la démonstration édifiante que, ce qui compte, ce n’est pas ce qui arrive, c’est ce qu’on fait de ce qui arrive.
- Ce n’est pas à lui qu’elle se soumet, c’est à une loi indiscutable, universelle, celle d’une sauvagerie masculine qu’un jour ou l’autre qu’il lui aurait bien fallu subir. Que cette loi soit brutale et sale, c’est ainsi.
- Comment sommes-nous présents dans l’existence des autres, leur mémoire, leurs façons d’être, leurs actes même ? Disproportion inouïe entre l’influence sur ma vie de deux nuits avec cet homme et le néant de ma présence dans la sienne.
- La fille de la photo est une étrangère qui m'a légué sa mémoire.
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